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ANTIBIOTOC
31 juillet 2011

54. Insistance [Ep. 08]

Maintenant y a de la vie. Y a de l’eau, du soleil en fine subdivision qui se finit de mourir, une fille avec pas mal de malheur. Et pas mal de bonne volonté, à rebours, de ce que certains entendent ; mais pas nous.

Je lève les yeux et la surface aquatique – striée – ondule d’or, miroite de plaisir, reflets de buildings. Avec du bruit que j’entends pas. Et deux dames, qui font un jogging. Non. Je ne parlerai pas d’elles. Un énième cycliste passe – image triste. Villa Triste. Triste mégalopole. Quand Marion balance son mégot, en toute innocence, blablatage et argot, je me sens bien. Seuls des néons bleus, décomposés, semblent, discrètement, nous écouter. Des vers, à l’envers, à louer. Quatre euros trente la soirée.

Je me suis dit qu’elle provoquait la vie. L’autre fille.

Je me dis aussi que le baccalauréat doit pas être pour dans longtemps. Des jeunes rentrent du lycée chez eux en costard et les filles en secrétaire. A moins que je ne sois en retard d’une saison, mais ça m’étonnerai, le GQ m’aurait prévenu, et les garçons portent les vestes de leur père. Coupe trop large. La mèche – blonde – longue.

Y a un drôle de manque que j’ai du mal à définir, puis je tourne la tête à gauche, vers Marion, et je constate qu’elle parle plus – je me demande depuis quand – mais qu’elle me regarde de son air étrange dont je ne sais rien tirer. Un peu comme si j’étais un truc marrant à regarder.

-          Ça y est ? T’es de retour ?

-          J’ai pas bougé à ce que je sache.

-          Ouais, mais je peux t’assurer que t’étais plus là. Tu veux savoir combien de temps j’ai parlé dans le vent ?

Je la regarde tendrement, comme on regarde un caprice d’enfant.

-          Oui oui, c’est pas la peine de me faire cette tête-là.

-          T’es vexée ?

-          Non.

-          Bah alors pourquoi tu fais chier ?

Elle me tire la langue, rapidement, une chance pour elle, j’allais lui mordre.

            J’entends des bruits de pas, au pas de course, et mon bras qui se barre en arrière – j’allais prouver à Marion par A + B que j’avais raison, une fois de plus. Mon sac se barre, un noir avec. Je gueule et comme il s’arrête pas je me lève d’un bond et lui cours après. Arrête-toi connard ! que je gueule. Mais il s’arrête pas. Du tout.

            Il s’avale les marche dans notre dos et je suis pas loin derrière, je le rattrape presque, il continue sur la plateforme puis saute par-dessus une barrière et dévale le gazon à l’inclinaison effrayante. Je vois ça et je décide de pas me casser une jambe. Je l’interpelle encore une fois et il se stoppe, se retourne et me fait un fuck que je me prends en plein amour-propre. Puis il s’engage dans l’étroit passage en forme d’arche, en dessous de là où je me trouve. J’arrête de réfléchir, je sais qu’il sortira de l’autre côté, je fais volte-face, et quand je le vois, je saute de ma terrasse. Je décide d’oublier mon genou.

            Haut. Pas mal haut même. Quand je lui atterris dessus, je sais pas lequel de nous deux à le plus mal. On s’écrase au sol et avant qu’il entreprenne quoi que ce soit, je vois plein d’étoile, en aveugle, je lui en colle une. Ça touche une zone molle ; son genou tape mon menton – plus dur. Il se relève vite et j’ai juste le temps d’attraper mon sac par un bout, on tire dessus chacun de notre côté, alors je lâche prise et le noir se casse la gueule. Je m’avance vers lui du plus vite que je peux, prendre mon sac, quand on me prend à la gorge et qu’on me retient, je peux seulement voir mon Dakine qui disparaît à toutes jambes, même si je me débats, même si j’ai plus d’air, même si je me dis que je vais peut-être pas vivre vieux si ça continue. Et sur le moment, je me demande si ça me poserait vraiment un problème. Cette interrogation ne m’étonne même pas.

 

*
**

           

Je me débats, gesticule, mais ma nuque est fermement tenu, et j’enrage de voir ce black filer avec mon sac, sans que je puisse rien faire. Puis un truc froid et pointu est pressé près de mon amygdale gauche.

-          Tu bouges encore et j’te plante avec ce tournevis sale pédé ! (voix rocailleuse de celui qui me bloque)

-          … (je me demande si Marion n’a rien, si je vais pas la retrouver encercler d’emmerdeurs)

-          Tu m’entends fils de pute ? (il postillonne et c’est dégueulasse parce que je me prends tout dans le cou)

Je ne réponds toujours pas, j’ai peur de dire une connerie, j’ai peur tout court, je commence à m’imaginer Marion se faire violer par une bande de Camerounais, c’est peut-être ce qui me poussera à faire ce que je vais faire. Le mec appuie le bout de son tournevis avec insistance, au contact, je parie pour un cruciforme, un bien vicelard, il appuie un peu plus encore vu que je l’ouvre pas. Quand je sens que s’en est fini pour moi, je ferme les yeux. Et je lui envoie l’arrière de mon crâne en plein dans la gueule. De surprise et de douleur l’autre me relâche et recule d’un pas. Je me retourne, et avant de même de calculer quelle gueule il a, je sers mon poing droit, je contracte mes muscles, et j’envoie tout dans sa ganache, d’une force qui m’étonne – il a sensiblement la même taille que moi, j’ai pas eu à vraiment ajuster mon tir. Son nez craque et fait le bruit d’une capote pleine qui s’exploserait au sol après une chute du haut de la tour Eiffel. Cette fois-ci, c’est sur le cul qu’il se retrouve. Dans ma tête, un plomb disjoncte.

Je lui saute dessus.

Je suis assis sur lui. Ses bras calés sous mes jambes. Sans défense. Mes poings, mes deux poings, lui arrose la face.

Encore.

Encore.

Encore.

Encore.

Arrête-toi mec, si tu continues ainsi, tu vas le crever tu sais ? Rien à foutre. Tu veux pas faire ça, arrête-moi cette pluie de poings, si c’est pas pour lui, fait le pour toi. J’arrive pas. T’arrives pas ou tu veux pas ?

Et mes poings de cogner dur, sur cette matière se ramollissant, presque agréablement.

Arrête ! Tu vas le tuer ! C’est mécanique, c’est en marche, je contrôle plus rien… Mais agis bordel ! t’es encore maître de ton corps putain ! Je sais pas… je crois pas.

En même temps que ma tête me parle, mes actes, hors de contrôle, m’épouvantent. Je serre les dents si fort que c’est un miracle qu’elles ne se brisent pas.

A un moment le jeune homme se retourne et je crois bien taper dans le bitume et j’ai mal à la main mais je m’en rends pas compte. Par contre je dois me désaxer, un peu, sur la gauche, pour pouvoir continuer à taper dans le mille. Dans le sang, les phéromones de la folie.

J’halète.

J’arrête mon geste à mi-chemin. Des voix dans le fond, ça tourne un peu donc je me pince les arrêtes du nez – hémoglobine visqueuse sur mon visage –, souffle un coup, tout raccélère, je secoue la tête, vision plus net, je me remets en route. Le coup. Sa lèvre inférieure explose. Ça fait un nouveau bruit obscène, un proute visqueux suivi de gémissements.

De haut, la ville brille, elle n’est qu’allées et silos d’ébènes zébrés des griffures  jaunes des réverbères.  Et des voitures. Et des smartphones. Et des boutiques. Et de la vie, dans sa clarté. Il y a toute cette beauté et peut-être – qui sait – ce même silence qui m’habite. Et sur ce bras de Seine, un mec en défonce un autre. Et à une centaine de mètres, un couple se bécote. Et quatre personnes courent vers deux autres…

Je n’en sais rien : je tabasse un mec. Et je suis plus tout à fait là. Des mains m’agrippent – encore – et me soulèvent, on crie « Police ! c’est quoi ce bordel ? calmez-vous-veuillez-décliner-votre-identité ! ». Je réponds, en gesticulant mais sans bouger d’un pouce entre les bras d’un policier, que ce connard m’a agressé et qu’un complice m’a tiré mon sac. Je suis traîné, pas très longtemps, et je peux voir le black sur qui je cognais se prendre une torgnole de la part d’une fliquette qui lui pose, ensuite, des questions ; des questions pas drôles et on appuie sur ma tête et je suis dans une voiture, à l’arrière, et y a trois flics dedans et ils claquent les portières et je me retiens de sursauter. De respirer. Le flic au volant se retourne et me demande vers où l’autre est parti et je lui indique. Son voisin m’offre un mouchoir et me propose de me débarbouiller le visage, je comprends pas pourquoi d’abord, mais quand je me vois dans le réto intérieur j’ai peur car c’est l’image d’un gars tout blanc qu’a pas l’air bien et dont le visage est éclaboussé de sang. Je dis merci en prenant le bout de papier blanc qu’il me tend, et si j’ai pas rêvé, j’ai même dit merci monsieur.

La trois cent sept recule à plus de vingt-cinq à l’heure – le bruit des pneus –,  dérape vers la sortie de la place. Pendant ce temps je leur raconte mon histoire. En même temps je commence à me demander pour Marion, si ça va. Où elle est. Je me mets à espérer qu’elle n’ait pas bougé, sinon, je sais que je la retrouverai jamais.

Entre temps les gardiens de la paix ont sorti leur flashball et affiche des  gueules de tueurs, et y en a un qui m’engueule et me demande si je suis pas fou d’avoir couru après mon sac. Tous les bougnoules sont armés dans cette zone, c’est un coup à s’en prendre un. Je trouve ça très drôle que ce soit un maghrébin en uniforme qu’utilise le mot bougnoule. Mais je rigole pas vraiment. En fait j’ai encore plus pali. Je suis en train de prier, Dieu, de me sauver la vie, la voiture fait des trucs fous et on prend des rues en contre sens et je serre le matelas du siège. La voiture pile et deux policiers armés sortent et collent un black au mur et on me demande si c’est lui, et honnêtement je sais pas, bien que convaincu de pouvoir le reconnaître. Le policier de droite tâte le bonhomme. L’autre tient à l’écart ses copains, flashball à hauteur de hanches. Une caisse blanche et classe roule doucement, prête à calé, vitres teintées et à semi-baissé et des visages sombres à larges lunettes de soleil et casquette west-side baissés sur le museau. Ça zieute méchamment. Les policiers dans la caisse avec moi échangent des regards. De la voiture blanche 62 représente ! de Rask se fait insistant. La voiture blanche continue d’avancer et ses vitres sont remontées. Tout le monde retourne dans la voiture.

A suivre...

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