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6 septembre 2015

Knock Out [Ep. 03]

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            En haut de la dune je gueulais à Ras’ de me lancer les clés. Lise et moi l’avions devancé dans la montée. Il portait seul tout le barda, il insistait pour. C’était une façon comme une autre de se fatiguer. J’attendais une réponse mais Lise me toucha l’épaule et me les tendis.

            Assis à la place conducteur, je le voyais approcher du coffre, dans le rétroviseur. Il claqua la porte en s’installant à ma droite, me jaugea, satisfait, et se tourna vers Lise qui vidait ses chaussures sur les tapis. « Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? chante-t-il presque.

  • Une glace ! »

            Leur voiture était moche mais se conduisait d’une seule main. Ras' m’en fit le reproche. Fallait rester focus. Je ralentis la familiale derrière une autre familiale hollandaise et arrêtai de regarder dans les rétros - des schmits y apparaissaient de nulle-part comme de vilains arlequins. Mes mains se contractaient toutes seules. Ras’ leva le nez de son portable et dit qu’on y était, qu’on pouvait se garer. J’arrêtai la tire devant un immeuble blanc. Nous entrâmes dans un Indien ne payant pas de mine, mais une fois dedans, ça sentait bon comme ailleurs. Un très jeune serveur nos proposa une table. Nous asseyant, je dis que les lumières me rappelaient Londres. Raspoutine fronça les sourcils. « T’es plus à Londres, Arthur. Pas avant plusieurs mois. Alors vide ton crâne, commande des huîtres et passons à la suite. » Quel qu’était le restaurant on l’on sortait dans la région, on y trouvait ces crustacées. « Un verre de vin pour accompagner les huîtres ? demanda le très jeune serveur.

  • Volontiers ! répondis-je avant Ras’. Mettez-nous une bouteille qui va avec, je vous fais confiance.
  • Tu sais ce que tu vas prendre ?
  • Un plateau d’un peu de tout.
  • Humm... attends voir... la vache ! Il coûte un bras leur plateau. Tu comptes payer ça ?
  • Tu sais bien que c’est toi qui payera.
  • Ah... tournant une page du menu, dans ce cas ça va.
  • Vous pensez que je devrais prendre aux épinards ou au fromage ? demande Lise.
  • Avec les épinards on sent mieux le goût de la viande, je dis.
  • Mademoiselle votre choix ? questionne le très jeune serveur.
  • Aux fromages s’il vous plait. »

            Le poisson qu’avait commandé Ras’ était grillé à point. Il en décollait méticuleusement la peau, écartant la chair de ses arrêtes, la sauce curry s’en gorgeait à mesure qu’avançait sa méthodique mise en morceaux. Le très jeune serveur passa à ma hauteur et sans un geste de ma part refit le plein de mon verre. Parfois le monde est positivement mal foutu. Mon portable vibra. Je déverrouillai l’écran qui ne m’apprit rien. Alors je le rangeai dans ma poche et me rinçai la gorge. « Ce fut excellent, merci, dis-je à Raspoutine.

  • Pas de dessert ? Rien ?
  • Dites les gars ? On va la prendre hein cette mega glace ? nous relance Lise. »

            Elle souriait, léchant ses boules, remettant une longue boucle de cheveux derrière son oreille. Je l’aimais pas trop ce sourire. Il me rappelait un temps où la vie s’essayait à s’affermir. Un temps où la confiance me paralysait, me berçait tout entier d’une mélopée d’avant-garde. 

            La grève n’était plus qu’un col sur le veston des éléments. Les vagues roulaient furieuses de n'être pas plus déchainées. Et c'était bon d'entendre par dessus cet innarrêtable raclement les zigouigouis de notre bavardage.

            Venant à notre rencontre, en face, une ombre grossissait. Tassée, carrée, rugueuse - mes mains cherchaient dans mon sweat une des cigarettes que j’avais taxées à Lise. Le tabac sec crissa au contact de la flamme jaune et bleue. S'approchant et à la lumière d'un lampadaire, l’ombre apparut claire et couverte de cratères. Voyant ça, nous nous poussâmes dans le caniveau, Ras' et moi. Au dessus, la lune s'emmitouflait dans une grasse et humide écharpe grise. Livide. Les yeux de l’albinos brûlait d’un rouge vif. Chacun de ses pas chargeaient d’électricité l’invisible bruine que l’on respirait. Il était noir. Blanc mais noir. J'ai cru échanger un regard avec lui mais il me dépassa, de cette allure gênée, sans un sursaut, sans même nous voir. Et tandis qu’il suivait l'axe sombre de la promenade, respirant de nos poumons grands ouverts, dans un début de frénésie, Lise le dépassa, à cloche pied, sautant d’une dalle à l’autre.

A suivre...

 

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