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28 février 2012

79. Tounout [Ep. 03]

Turnout

 

Y a mon père qu'a appelé. C'est lui qui m'avait trouvé cette offre d'emploi. J'avais sorti un bouquin un semestre plus tôt, co-écrit avec Yves – un copain noyé dans la philo. Le livre était sensé mettre en avant les relations entre l'expression artistique et le vécu, l'expérience, qui nous assiège nous les artistes – oui, quelque chose de profond. Un truc dans le genre. Parce que pour tout dire, j'avais surtout dessiné pour le bouquin, présenté sous forme de dialogues entre lui et moi – avec mes illustrations. J'avais plus été le cobaye qu'autre chose. J'avais bien aimé l'être. Je m'étais senti écouté et important. Et maintenant on me proposait un boulot. C'était la crise depuis un moment déjà, mes comptes étaient vide ou pas loin, j'allai prendre le premier venu, où qu'il se trouva, même dans la capitale, et pas cracher dans la soupe pour être payé à faire je ne sais trop quoi. Peut-être même très bien payé, d'après ce qu'Yves m'avait dit – sauf que je savais pas précisément ce que très bien payé voulait dire, à partir de quel nombre ça compte pour de vrai.

Mon portable vibrait, je décrochai :

  • Ouaip ?

  • Alors ? Tout baigne ? Pas de soucis ?

Il était vraiment trop lui... toujours aux petits soins, toujours à s'inquiéter pour moi  mon daron. Je lui répondis :

  • Les doigts dans le nez.

  • T'es où ?

  • Au cinquante et un.

  • Ah bah t'es devant ! (Il avait l'air content.)

  • Ah ouais... (Un ton plus bas :) merde alors.

  • Pardon ?

  • Nan, rien, t'inquiètes.

  • Ok. Bon, tu me tiens au courant ! Bonne chance fiston !

Et puis il a raccroché. Moi je savais pas comment je m'y étais à nouveau pris, j'ai pas eu le temps de m'étonner, j'étais en avance et ça me perturbait. J'ai appuyé sur l'un des boutons/sonnettes haut-parleur du building.



Dans un bureau où siègeait une grande table ovale, à un moment, le crâne fendu par un éclair d'ennui, la brune attentatoire en face de moi a dit que c'était l'heure de la pause. D'un coup, ça allait mieux. Je venais de me farcir tout le gratin : chef de recrutement, responsable en communication intérieure, le GRAND parton, et d'autres personnes dont j'avais pas bien saisi l'utilitées – je me sentais comme après une énorme bouffe, le cerveau en confettis. On avait une petite heure, tout au plus, qu'elle précisa. Je me suis fait aussi discret que mon mètre quatre-vingt me le permit et j'ai filé direct dans le second bar au coin de la rue. J'ai commandé un demi-litre de Picon.

Assuis sur mon tabouret je pensais à Lucie et ça me faisait chier. Royalement. Je me concentrai à mort pour l'oublier, et plus je me concentrais, plus je me souvenais. J'ai regardé autour de moi, mais y avait personne pour s'occuper de mon âme dans le coin – que voulez-vous.

J'ai fini ma seconde pinte sans respirer, je me suis senti bien vivant.

J'ai voulu payer mais j'avais que ma MasterCard  pas de distrib' en vue  et le gros Kabyle derrière le comptoir m'a dit qu'il pouvait rien faire pour moi en dessous de quinze euros. Merde. Il me tenait par les couilles, et comme je suis pas un truand, j'ai consommé jusqu'à ce qu'on ait le compte  finissant par commander un café. « Déca ? » J'ai levé deux yeux horrifiés. « Sutout pas ! Bien serré ouais ! » Je pensais plus du tout à Lucie, c'était parfait. Je me suis levé, un peu pressé, un peu pas droit, en disant « à bientôt j'espère ! » et le sympathique arabe m'a dit que lui aussi il espérait, et c'était chouette, et je suis sorti. Courant, presque, vers le blé.


À suivre...

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