34. La nouvelle [Part' I]

Si elle continuait de la sorte, la cliente allait faire une syncope. Boudinée et toute joufflue, elle trépignait, écarlate et hors d'elle. J'avais laissé mon bras en arrêt sur image, dans le mouvement sensé me permettre de ranger la bouteille de jus de pamplemousse, dont je finissais de remplir le rayon. Je ne savais pas vraiment où me foutre.

⁃ Mais c'est une honte !!! Pourquoi le Perrier coute plus cher en pack de six que si j'prends six bouteilles individuelles ?!! Vous vous moquez du monde !! C'est inadmissible !!

J'ai rapidement balayé le rayon du regard, mais de nul part, aucune aide ne pointait le bout de son nez. Ni du côté des cacahuètes, ni de celui des alcools, ni de nul part. J'étais bel et bien coincée avec cette folle et je n'avais aucune réponse à lui fournir.

J'avais de plus en plus chaud. J'étais sur d'avoir mon teint pivoine – si habituel – et les plaques rouges qui naissent dans mon coup lors de mes moments de panique. L'autre dingue s'époumonait.

⁃ Je veux voir le responsable du service !!

⁃ Je ... excusez moi. Je ne sais pas si ...

⁃ Vous ne savez pas, vous ne savez pas !! Moi je sais que vous vous moquez de moi.

Finalement, sûrement dû au vacarme, Mathilde vint voir qu'est-ce que c'était que ce bazar – et qu'est-ce que j'avais bien encore put faire comme bourde. Elle me saisit par le bras.

⁃ Excusez là Madame. Que puis-je faire pour vous ?

Ce à quoi elle s'égosilla de la même ; lui régurgita le même pataquès. J'ai profité de l'occasion pour tenter ma chance, pris mon tire-pal' et visai l'entrepôt. Mais la garce ne m'en laissa pas l'opportunité.

⁃ Ne pensez pas vous en tirez comme ça Mademoiselle ! Quel est votre nom ? J'irai me plaindre de votre incompétence à ...

Après j'ai plus écouté. J'ai juste attendu que sa voix se taise. Mathilde – cette bonne âme – dit alors :

⁃ Judicaël, du rayon soft.

Ce Judas m'avait vendu. Elle ne m'avait jamais blairé. J'étais – simplement – dépitée.

Un homme portant un caban bleu marine s'était arrêté. Il observait depuis un moment. Dans une de ses mains, il tenait une bouteille de rhum blanc. Il s'approcha.

⁃ Et si vous en preniez 6 indépendamment ?

⁃ Pardon ? (la commère, interdite)

⁃ Comme ça vous économiseriez la différence. Vous seriez un peu plus maline que toutes ces autres dames qui achètent sans même comparer. C'est pas mal de faire front de la sorte au système.

L'homme ne lui parlait qu'à elle. Mathilde et moi étions – pour ainsi dire – inexistantes. La cliente ne pipait mots, dans ses laids collants résille elle se tassait. Lui, un blond pas spécialement grand, aux yeux bleus, à l'aise dans ses sapes, faisait des moulinets avec ses mains en parlant. Je me trouvai tout à fait ridicule dans mon t-shirt bleu, trop large, que la firme nous demandait de porter. D'une qualité déplorable. Le pire étant qu'il s'avéraient qu'on s'y faisait. Les gens qui bossait dans cette boite de conserve depuis plus de dix ans, fonctionnaient mécaniquement dans un renoncement grinçant. Ils me fichaient la chair de poule.

Au bout d'un moment, la discussion allait vers la fin. Mathilde disparut, je me remis discrètement au travail, à remplir des rayons de bouteilles de soda – le dos courbé. Mais on m'appela :

⁃ Judicaël ! Mettez moi six bouteilles de Perrier dans le caddy. Elles sont un peu trop hautes pour moi.

Consternée, je m'exécutai. Un peu trop haute ... disait-elle. Et je n'aimai pas vraiment qu'elle se soit souvenue de mon prénom, la vieille peau.

Le mec sympa m'avait laissé après, un regard noyé d'empathie – je crois, je l'ai espéré.

A suivre ...

Image : Julie Ancel